À l’occasion des 30 ans de Phare Ponleu Selpak à Battambang, Véronique Decrop, cofondatrice de l’association, revient sur les traces d’une aventure qui a changé des vies. Elle a mis son talent et son dévouement au service de la communauté khmère pendant près de 40 ans. En partant des camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise jusqu’au centre artistique de Battambang. Cet article revient sur son parcours et l’impact durable de Phare.
I) L’engagement personnel de véronique Decrop : des rencontres déterminantes
“PHARE” est le fruit d’une rencontre entre Véronique Decrop, jeune diplômée des Beaux-Arts de Paris, et de 90 enfants cambodgiens réfugiés dans le camp de Site 2 à la frontière Thaïlandaise. Ce camp, créé au début des années 1980, accueillait des milliers de Cambodgiens fuyant les atrocités des Khmers rouges, de la guerre civile ainsi que les troubles qui ont suivi l’invasion vietnamienne en 1979. À son apogée, Site 2 comptait jusqu’à 200 000 réfugiés, faisant de lui le plus grand camp de réfugiés au monde à l’époque.
En 1985, Véronique, animée par le désir de retrouver le Père Ceyrac, un missionnaire jésuite rencontré 10 ans plus tôt en Inde, décide de rejoindre l’ONG Handicap International dans les camps de réfugiés. Sur place, elle est confrontée aux séquelles de la guerre : des enfants traumatisés, déracinés et privés de leurs repères culturels et éducatifs. Son amitié avec le Père Ceyrac, va la mettre sur le chemin de l’engagement. À partir de 1986, il l’encourage à rejoindre l’équipe éducative de l’ONG COERR, où elle commence à donner des cours de dessin aux enfants de l’orphelinat de Site 2.

D’abord réticente, n’étant pas convaincue par l’idée de faire des « dessins d’enfant », Véronique rencontre rapidement une sensibilité artistique inattendue chez ces enfants âgés alors de dix ans. Elle découvre leur capacité à s’approprier des outils créatifs et à acquérir des techniques. L’expression artistique a permis de contourner la barrière de la langue : pourquoi avoir besoin de mots quand on a des images ?
Au fil des années, et des histoires illustrées, ces jeunes s’autorisaient à effacer la terreur, imaginant des mondes merveilleux, un Cambodge auquel ils n’avaient pas eu accès. C’est vrai, comment avoir de l’espoir quand on a passé l’essentiel de sa vie dans la terreur, le désarroi et la misère ? En rêvant. Et ces rêves, ils les dessinaient.
Grâce à ses cours, les enfants ont pu s’approprier l’art, non seulement comme un exutoire créatif, mais aussi comme un moyen de retrouver dignité et perspectives d’avenir. Cette forme d’expression a permis à Véronique de nouer des liens forts avec les enfants et leurs vécus. Son action ne se limitait plus à une simple aide humanitaire : elle était devenue un membre à part entière de cette famille qu’elle avait contribué à créer, et à laquelle elle s’était pleinement engagée
II) L’art comme moteur de développement : La naissance de Phare Ponleu Selpak
En 1993, après la fermeture des camps de réfugiés, le Cambodge faisait face à une réinsertion extrêmement difficile de ses habitants. Véronique Decrop, profondément marquée par ces réalités, décide alors de traverser le pays pour en témoigner. Elle ne pouvait supporter l’image de ces hommes et femmes, la tête basse, démunis, sans foyer ni moyens de subsistance. Et, encore moins, l’idée que ses anciens élèves puissent se retrouver dans une telle situation. C’est alors qu’elle imagine un projet audacieux : transformer l’art en un moyen de soutien social. Au lieu de rester dépendants, ses élèves pouvaient, grâce à leurs compétences artistiques, apporter éducation et art aux communautés défavorisées.
Avec le soutien de l’association Phare France, Véronique et neuf jeunes achètent en 1994, une rizière à Battambang et fondent un centre artistique. Ce ne n’est pas du riz mais des rires, de l’art et une perspective d’avenir qui y ont été cultivés. Ce lieu devient un foyer de créativité, où se mêlent dessin, danse, musique, et une bibliothèque pour enfants. En 2001, le centre se transforme en Phare Ponleu Selpak (« La Lumière de l’Art »), une association locale qui pérennise cette vision.


Le nom de l’association, « Phare » est fort de sens : il incarne la lumière, celle de l’art et de la culture qui guident les égarés. En offrant une éducation artistique, Phare éclaire le chemin de plusieurs milliers de cambodgiens en redonnant couleur et espoir à des vies meurtries.
Phare se distingue par un modèle unique : À Siem Reap, par exemple, les spectacles offerts par Phare ne sont pas seulement des performances artistiques mais aussi des moteurs économiques. Les recettes contribuent directement à financer l’éducation et les programmes sociaux de l’association, permettant d’offrir un accès gratuit à ces services aux enfants issus de milieux défavorisés. Comme le résume Véronique : « C’est l’art qui finance le social. »
Aujourd’hui, Véronique est fière et reconnaissante de constater que « Phare est le cœur battant de Battambang », rythmant en partie la vie artistique et culturelle de la ville, un symbole de résilience et d’innovation. L’association continue de grandir et incarne la conviction de Véronique : pour « pousser les branches du développement », il faut s’appuyer sur des racines solides
III) La préservation du patrimoine culturel : Une mission essentielle
Le patrimoine est un pilier fondamental pour toute société, en particulier pour un pays comme le Cambodge, où le régime des Khmers rouges a effacé une grande partie des traditions, des arts et de l’histoire. La mission de préservation de ce patrimoine est cruciale pour reconstruire l’avenir du pays.
Dès les camps de réfugiés, Véronique a initié des cours de dessin qui ont donné naissance à des œuvres poignantes, véritables témoignages des épreuves et des rêves des enfants. Ces œuvres ont été exposées en Europe et publiées dans Voyage dans les rêves des enfants de la frontière (1988). Aujourd’hui, cette mission se poursuit à travers un programme éducatif alliant tradition et modernité.
En mai 2024, les œuvres réalisées dans les camps ont été rapatriées au Cambodge et seront intégrées dans un musée au sein de Phare Ponleu Selpak à Battambang, prévu pour 2026. Ce musée, soutenu par des partenaires comme le collectionneur d’art Jean Marc Decrop, sera un lieu de mémoire, de résilience et d’espoir. Il rendra hommage à la culture cambodgienne tout en transmettant ce patrimoine aux générations futures. Ce projet, nécessite encore des fonds pour sa réalisation.
Pour Véronique, préserver le patrimoine culturel du Cambodge n’est pas seulement une obligation de mémoire, mais une promesse d’avenir. L’art devient un pont entre le passé et le futur, un moyen de transmettre la résilience et l’espoir.
Un engagement qui transcende l’individuel
Véronique Decrop incarne la conviction que l’art a le pouvoir de changer des vies et de reconstruire des communautés. L’histoire de Phare Ponleu Selpak témoigne d’un combat collectif, d’un espoir nourri par la solidarité et la créativité. Aujourd’hui, alors que l’association poursuit son développement, l’appel à l’engagement reste aussi important qu’au début de l’aventure.
Pour pérenniser cette aventure, l’association a toujours besoin du soutien des donateurs, des bénévoles et des partenaires. Comme le souligne Véronique : « Il faut beaucoup rêver pour réaliser ». C’est ce rêve de transformation sociale et de préservation du patrimoine culturel que nous devons tous soutenir, pour que Phare continue d’éclairer les vies des jeunes générations cambodgiennes et d’inspirer l’avenir du pays.